Sécheresses, incendies et maladies : Les risques en cascade qui menacent les forêts françaises

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Parmi les facteurs qui façonnent les écosystèmes forestiers, les aléas naturels jouent un rôle primordial. Incendies, tempêtes, invasions d’insectes… ces phénomènes se caractérisent à la fois par leur singularité – ils doivent être inattendus, incontrôlables et d’une ampleur inhabituelle – et par les conséquences directes qu’ils ont sur les activités humaines ou les personnes.

Les espèces s’adaptant perpétuellement à leur environnement, un aléa naturel de grande ampleur entraînera une perturbation importante des conditions de ce dernier. Mais sa survenue offre aussi des opportunités pour certaines espèces, et peut être bénéfique à la biodiversité.

Les essences dites « pyrophiles », c’est-à-dire celles dont la croissance est stimulée par le feu, constituent un cas intéressant : les graines des cônes du pin d’Alep (Pinus halepensis), une espèce installée sur le pourtour méditerranéen, ne sont par exemple libérées qu’après le passage d’un incendie.

Sans ce dernier, leurs peuplements ne peuvent donc pas prospérer ! Dans de nombreux cas, les aléas naturels peuvent offrir un intérêt écologique primordial, mais ils représentent aussi une menace pour les forêts.

Pins d’Alep.
Frenciscobcn/Wikimedia, CC BY-NC-ND

Des aléas destructeurs

Entre 2002 et 2013, 67 millions d’hectares de forêt ont brûlé chaque année dans le monde, anéantissant l’équivalent de quatre fois la surface des bosquets métropolitains français.

Sur cette période de 12 ans, 85 millions d’hectares ont été affectés par les insectes (s’attaquant, par exemple, au feuillage ou à l’écorce des arbres), 38 millions par des conditions météorologiques extrêmes (tempête, ouragan, sécheresse, etc.) et 12,5 millions par diverses maladies.

À titre de comparaison, la surface de la forêt mondiale est d’environ 4 milliards d’hectares.

En Europe, la tempête en tête

Au niveau européen, sur la deuxième moitié du XXe siècle, 35 millions de m³ de bois ont en moyenne été endommagés chaque année par des événements naturels, soit 8,1 % de la récolte annuelle.

La tempête était responsable de 53 % de ces dégâts, le feu de 16 % et les facteurs biotiques – c’est-à-dire du monde vivant sur les forêts – de 16 %, la moitié d’entre eux étant dus aux scolytes, insectes xylophages (qui se nourrissent de bois).

En France, des sécheresses plus importantes

À plus petite échelle, en France, de nombreuses perturbations ont affecté les peuplements forestiers. Les tempêtes Martin et Lothar de décembre 1999 sont encore dans les mémoires. Elles ont mis à terre 140 millions de m³ de bois, principalement dans l’est de la France.

Avec les sécheresses importantes depuis 2018, ce sont au moins 300 000 hectares qui ont été concernés par des mortalités directement liées à la sécheresse ou à des attaques de scolytes dans les forêts publiques françaises, les secondes étant souvent encouragées par les premières, nous le verrons plus tard.

La chalarose du frêne (Chalara fraxinea), maladie qui a émergé dans les années 1990 dans l’Est de l’Europe, décime les peuplements de frênes et avance un peu plus chaque année à travers le territoire français.

La chalarose du frêne. (Inra_France/Youtube, 2018).

Enfin, le nématode du pin (Bursaphelenchus xylophilus), une espèce de vers présente au Portugal, pourrait avoir des conséquences économiques dramatiques s’il s’installait dans les forêts landaises.

Quand les aléas entrent en interaction

L’ampleur et la fréquence de ces événements naturels augmentent du fait du changement climatique.

Cette intensification est déjà observée et tend à s’accentuer. Par exemple, les dommages causés par le vent, le feu et les insectes ont considérablement progressé en Europe entre 1958 et 2001 : en moyenne de + 2,6 %/an pour le vent, + 4,2 %/an pour les incendies, et + 5,3 %/an pour les scolytes.

Ces exemples ne considèrent en outre qu’un seul aléa naturel à la fois alors que le changement climatique favorise les interactions entre eux. On peut les définir à travers leurs effets temporels selon deux types en particulier : les événements « simultanés » ou « composés », qui se déroulent au même endroit et au même moment ; les événements « en cascades », qui surviennent au même endroit mais décalés dans le temps. Le cas échéant, un temps durant lequel l’effet du premier événement perdure doit être défini.

Le cas du scolyte de l’épicéa, développé plus bas, fournit plusieurs exemples de tels événements.

Ces effets peuvent modifier la vulnérabilité de la forêt et/ou la récurrence de l’aléa, c’est-à-dire le temps de retour moyen de l’aléa en question ou bien d’un autre.

Des phénomènes multiples et complexes

Les scientifiques s’attendent ainsi à voir les interactions entre les risques se renforcer beaucoup plus vite que les risques eux-mêmes : de plus en plus de peuplements seront donc touchés à l’avenir par des aléas multiples et complexes.

Les enjeux qui entourent leur prise en compte sont nombreux : sur les plans économiques et sociaux, il s’agit de pérenniser la fourniture de biens et services environnementaux (bois, loisirs, etc.) ; sur le plan financier, il est question pour les propriétaires forestiers de retour sur investissement mais aussi de coûts associés à la couverture des aléas multiples.

Enfin, sur les plans environnementaux et écologiques, ces aléas multiples mettent en péril les habitats naturels, mais aussi les services d’atténuation du changement climatique.

Le scolyte de l’épicéa, un cas d’école

Le scolyte de l’épicéa, ou encore bostryche, est un insecte xylophage de quelques millimètres de long. À un niveau de population endémique, il joue un rôle fondamental dans le maintien de l’écosystème forestier, puisqu’il ne s’attaque qu’aux épicéas (Picea Abies) les plus fragiles.

Ces derniers ayant tendance à augmenter fortement l’évapotranspiration – c’est-à-dire le transfert d’eau vers l’atmosphère –, leur retrait permet de mieux réguler la ressource hydrique pour le reste du peuplement, et aussi de faire de la place aux jeunes générations plus dynamiques.

Épicéas malades dans le massif des Vosges.
Marielle Brunette, CC BY-NC
Photographie prise par les auteurs à Rupt-sur-Moselle (Vosges) en juin 2020.
Auteurs, CC BY-NC-SA

Cet équilibre écologique peut être perturbé de plusieurs façons et mener à la destruction de grandes surfaces de pessières (on désigne ainsi les forêts principalement constituées d’épiceas).

Perturbations en cascade

Une tempête peut par exemple produire un certain volume de chablis, c’est-à-dire d’arbres déracinés et tombés au sol sous l’effet d’événements naturels.

Or les chablis, dont la vigueur et les capacités de défenses associées sont réduites à néant, constituent des cibles particulièrement faciles pour les scolytes. Ils offrent donc une occasion aux populations d’insectes de croître très rapidement. Cette interaction entre tempêtes et population d’insectes constitue un premier exemple d’aléas en cascades.

Le changement climatique engendre la combinaison d’autres aléas simultanés. À l’instar des chablis dont la vigueur est diminuée, les arbres subissant des sécheresses estivales de plus en plus intenses et régulières sont très affaiblis et deviennent aussi des cibles faciles pour les scolytes.

La crise des scolytes en région Grand Est. (ONF/Youtube, 2019).

Le temps nécessaire à une larve pour atteindre l’âge adulte est par ailleurs inversement proportionnel à la température. La hausse de cette dernière aide donc les populations d’insectes à se développer plus rapidement.

Historiquement, une ou deux générations d’insectes étaient observées chaque année. Désormais ce sont jusqu’à trois générations annuelles, ce qui provoque une croissance des populations beaucoup plus brutale.

L’Est de la France particulièrement touché

Ces aléas mènent à de profondes modifications des écosystèmes et peuvent engendrer des niveaux de dégâts désastreux.

C’est notamment ce qui a été observé au cours des étés 2019 et 2020 dans les régions Grand Est et Bourgogne-Franche Comté où plusieurs millions de mètres cubes d’épicéas ont été touchés, diminuant par la même occasion drastiquement le prix de vente du bois.

Plus de 40 millions de mètres cubes d’épicéas en 2018 et 2019 ont également été impactés en Allemagne.

La cascade de risques ne s’arrête pas là : les peuplements ayant subi des attaques constituent une importante quantité de bois sec (troncs, branches, aiguilles) qui pourra à l’avenir potentiellement augmenter la sévérité des incendies dans la région affectée. Ces zones n’étaient pourtant pas particulièrement concernées par le risque de feux par le passé. Réciproquement, les peuplements incendiés pourront favoriser des pullulations de scolytes.

Interactions possibles entre aléas naturels dans les pessières de l’est de la France (Source : Auteurs).

Écologues, économistes et interactions

Les scientifiques s’intéressent aux risques naturels depuis longtemps mais les analysent, en général, un par un ou de manière indépendante. Les interactions entre les aléas ne sont considérées que depuis peu, notamment sous l’impulsion du changement climatique, qui tend à les favoriser.

Elles soulèvent pourtant des questions importantes, notamment en matière de modélisation de chaque interaction. Au contraire des aléas isolés, les impacts des aléas multiples ne sont pas linéaires en raison d’effets de synergie.

En fonction du prisme disciplinaire, la question sera par ailleurs abordée différemment.

Les écologues s’engagent souvent dans l’étude précise de certaines interactions, au prix de résultats dépendant fortement de l’écosystème considéré et donc peu généralisables. Par exemple, l’interaction entre tempêtes et scolytes de l’épicéa est particulièrement bien connue dans les massifs montagneux d’Europe centrale.

Les économistes au contraire préfèrent s’intéresser à des cas beaucoup plus généraux, faisant donc la plupart du temps l’hypothèse de risques indépendants les uns des autres. On suppose par exemple l’existence de deux risques uniques et indépendants : les incendies et les tempêtes. L’étude théorique d’aléas naturels aléatoires et indépendants est ainsi bien traitée dans la littérature économique récente.

Davantage d’interdisciplinarité serait bénéfique à chacune de ces deux disciplines. Les économistes auraient beaucoup à gagner en s’inspirant des modèles d’écologie : ils décrivent mieux les interactions à l’intérieur d’un écosystème. Quant aux écologistes, les modèles économiques pourraient leur apporter d’intéressantes indications sur le devenir des forêts françaises, généralement gérées par l’homme.

Risque de marché et risque financier

Comme évoqué avec le cas du marché de l’épicéa dans l’Est de la France, la crise des scolytes a mis une grande quantité de bois sur le marché. En volumes récoltés, c’est l’équivalent de quelques années normales qui sont arrivées annuellement sur le marché local.

Cette offre très importante a fortement déstabilisé les marchés et a mécaniquement diminué le prix du bois. Une baisse de 70 % du prix des épicéas sur pied vendus par l’ONF a été observée entre mars 2018 (avant la crise) et mars 2020.

Au risque d’aléa naturel s’ajoutent donc deux autres risques.

Le premier concerne le risque de marché pour les propriétaires forestiers, avec des prix en chute. À notre connaissance, il n’a d’ailleurs pas encore été étudié dans le cadre d’aléas multiples par les économistes.

Le second concerne le risque financier : le retour sur investissement de ces propriétaires dépend essentiellement des bénéfices, qui ne couvrent plus forcément les coûts de replantation. La gestion de ce second risque est indispensable pour la conservation d’un couvert forestier durable et revêt donc un intérêt public majeur.

Le lien entre changement climatique et réduction de la quantité de bois sur pied.
Auteurs

Le changement climatique devrait augmenter les aléas et leurs interactions à l’avenir, diminuant ainsi la quantité de bois sur pied. La forêt constituant un important stock de carbone, une boucle de rétroaction s’installe donc entre changement climatique et volume de bois sur pied.

Plus le changement climatique s’intensifie, plus les aléas sur la forêt aussi, détruisant davantage de surfaces, diminuant le puits de carbone forestier et contribuant à un changement climatique plus prononcé, etc.

La prise en compte et la gestion de ces aléas multiples, ainsi que des divers risques qui en découlent, est donc primordiale pour pérenniser les peuplements forestiers et les nombreux services écosystémiques associés.

Félix Bastit, Doctorant en économie, Inrae et Marielle Brunette, Chargé de recherche, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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